L’art d’habiter l’instant

Parfois, il y a des choses qu’on remarque sans trop savoir pourquoi. Un détail. Un geste. Une coïncidence. Quelque chose qui nous arrête une seconde. Juste assez pour se dire : tiens, c’est étrange.

Tout passe. Ceux qu’on aime passent. Les instants de lumière passent. Les moments où l’on se sent pleinement vivant passent. On ne s’en rend pas compte tout de suite. On vit comme si rien ne devait finir. Jusqu’au jour où l’on comprend : rien ne dure vraiment. Cette idée peut être angoissante. Elle peut aussi émerveiller. C’est peut-être justement parce que tout disparaît que chaque instant a autant de valeur. Une raison d’aimer plus fort, de vivre plus intensément, de créer sans attendre. Et si c’était aussi une façon d’accepter que tout se transforme, même nous ?

Prendre soin des instants, c’est peut-être ça, le secret d’une vie qui ne file pas trop vite.
Pas seulement les grands moments. Pas seulement ceux qu’on photographie ou qu’on planifie. Mais aussi ceux qu’on ne voit pas tout de suite. La lumière du matin qui traverse la fenêtre. Une parole douce échappée sans y penser. La sensation du vent sur la peau. La voix de quelqu’un qu’on aime. Ces détails qu’on croit anodins deviennent des souvenirs précieux.

On aimerait les préserver à jamais. Les moments de rire partagés. Les silences qui rapprochent. Ces instants où l’on se sent bien, chez soi, dans un livre, entouré de plantes, plongé dans un geste familier.

Créer, c’est se sentir relié au monde et à soi. C’est cette sensation d’être pleinement présent, d’exister à travers le geste, l’idée, l’élan. Tant qu’on crée, on est en dialogue avec la vie. Tant qu’on imagine, on ressent la continuité du vivant. Tant qu’on assemble, on tisse un lien intime avec ce qui nous entoure. Chaque geste créatif est une manière de se retrouver, de ressentir sa place dans le monde. Ce n’est pas une quête de nouveauté, ni un besoin de changer les choses, mais une façon d’être, d’habiter pleinement l’instant. Créer ne se résume pas à produire. C’est être là, ressentir, traduire quelque chose d’indéfinissable en une forme qui nous échappe presque aussitôt. L’acte de créer est toujours en train de se faire. Il ne s’épuise jamais. Il est ce qui relie, ce qui circule, ce qui nous fait ressentir que tout est encore possible.

On n’écrit pas pour donner des réponses. On écrit pour ouvrir des portes. Pour semer des questions. Peut-être qu’en lisant ces mots, quelque chose résonnera. Peut-être pas. Peut-être qu’une phrase, un souvenir, une impression reviendra plus tard, sans prévenir. Peut-être que, sans s’en rendre compte, on prendra un instant pour observer la lumière. Pour goûter la douceur d’un moment partagé. Pour sentir la magie d’un souffle. Peut-être que ces mots seront oubliés. Ou peut-être qu’ils laisseront une empreinte légère, une sensation diffuse qui refera surface quand on s’y attendra le moins.

Nous ne sommes que de passage. Mais ce que nous vivons s’attarde un peu. Ce que nous créons, ce que nous aimons, tout cela résiste au temps, d’une manière ou d’une autre. Certaines œuvres nous le rappellent, en capturant l’invisible, en rendant hommage à l’éphémère.

Films à découvrir :

Interstellar de Christopher Nolan. Un voyage à travers l’espace et le temps, où chaque minute compte. Ce film n’est pas seulement une exploration scientifique, c’est une réflexion sur l’amour, la mémoire et ce qui nous lie au-delà des dimensions. Ce moment où l’on comprend que les décisions que nous prenons, ici et maintenant, résonnent bien au-delà de nous. Que le temps, aussi cruel soit-il, garde en lui la trace des liens qui nous unissent.
(SPOILERS) Un père quitte sa fille pour une mission spatiale, persuadé qu’il reviendra bientôt. Mais pour elle, les jours deviennent des années. Une vie entière se déroule tandis que lui n’a vécu que quelques heures. Le temps les éloigne, mais il ne brise rien. Il s’étire, se distend, se joue d’eux—et pourtant, il conserve intact ce qui compte. Ce qui nous lie survit toujours, d’une façon ou d’une autre.

Perfect Days de Wim Wenders. Un film lent, baigné de lumière, où chaque journée ressemble à la précédente, et pourtant, tout est différent à chaque instant. L’histoire d’un homme qui vit simplement, attentif aux petites choses. Un café, une chanson, un rayon de soleil sur un mur. Il ne cherche rien d’autre qu’à être là. Et c’est peut-être ça, le plus grand luxe.
(SPOILERS) Peu à peu, on réalise qu’il ne cherche rien de plus que ce qu’il a. Il ne court pas après un futur lointain. Il s’ancre dans l’instant. Un café, une chanson, la lumière changeante sur un mur. Ce qu’il laisse derrière lui n’est pas tangible, et pourtant, il reste gravé dans ceux qu’il croise. Son héritage n’est pas un monument, mais un fil invisible tissé à travers les jours, une présence qui persiste, discrète et essentielle.

Lectures à explorer :

Wabi-Sabi : Pour les artistes, les designers, les poètes et les philosophes de Leonard Koren. Une plongée dans cette esthétique japonaise qui célèbre l’imperfection, l’éphémère et l’inachevé. Un livre qui ne donne pas de définition stricte, mais qui invite à ressentir, à observer le passage du temps autrement, à voir la beauté dans le vivant et l’imperfection.
(SPOILERS) Le wabi-sabi ne se définit pas, il se ressent. Ce n’est pas seulement une esthétique, mais une façon de regarder le monde : voir la beauté dans l’inachevé, dans la patine du temps, dans l’éphémère. Trouver une forme de plénitude dans ce qui évolue, dans ce qui respire encore, puis plus.

Exposition à voir :

Monira Al Qadiri – Exposition au Bozar (Bruxelles). Un dialogue entre passé et futur, où l’Égypte ancienne s’entrelace avec l’intelligence artificielle et le monde animal. Ici, la mémoire n’est pas figée : elle circule, mute, se réinvente. Les mythes et la technologie ne s’opposent pas, ils se répondent. Une œuvre qui questionne ce qui nous reste, ce qui se perd et ce qui renaît autrement.

Ces œuvres ne répondent pas aux questions, elles les amplifient. Elles ne figent pas le temps, elles nous apprennent à l’habiter autrement.

MINDWAVE